Le mot « PROMOTION »

Publié le par alexbof


 

Le mot

« PROMOTION »

 

 

   Il est frappant, sur F…, de constater comment les consentants désignent leurs lieux d’étude : l’on y dit donc le nom du lycée, de l’université, de toute autre école, d’abord, et bien sûr ; mais ensuite, chacun se garde bien de ne pas oublier d’y ajouter « Promotion X année » : ainsi trouve-t-on une kyrielle de « Lycée Camus, Promotion 2010 », de « IEP Lyon, Promotion 2015 », et ainsi de suite.

   Cette utilisation du terme « promotion » se limite-t-elle à F… ? Assurément non : mais F… est un exemple frappant et surtout révélateur. En effet, il est le lieu où, pour parler simplement, l’on dit aux autres ce que l’on fait. L’on y associe donc alors le mot « promotion X année » ; terme que l’on résumera plus tard en « promo » (c’est dire s’il est courant, voire familier !).

   Cet usage se généralise même pour les lycées, publics comme privés ! Or, l’examen visé à ce moment-là, à savoir le baccalauréat, ne met en aucun cas les uns en concurrence avec les autres (nous y reviendrons).

   Maintenant que le constat est laborieusement établi, passons sans plus tarder à l’analyse critique – qui, vous le pensez bien, aura pour but de pulvériser le consentement général qui semble s’être étendu à toutes les couches de la société au sujet de cet ignoble terme.

 

   Prenons dans un premier temps un point de vue premier, pour ne pas dire naïf. Pourquoi diable s’en prendre avec une farouche haine au mot « promotion » ? En effet, ce terme semble véhiculer deux idées parfaitement positives de prime abord.

   Ainsi, « promotion » renvoie avant tout à l’idée de solidarité, de cohésion, je dirais même, de fraternité : tous les apprenants appartiennent à la même classe (entendons par là : unité d’action (de niveau), de temps (une ou plusieurs années) et de lieu (un lycée, une école…) dans les études), ils sont ensemble, ils sont soudés. Frères d’étude et frères d’études, leur appartenance à la même classe dresse autour d’eux une forteresse rassurante : ils se connaissent mieux que d’autres, en tout cas d’un certain point de vue (dans certains domaines, dirons-nous pour être moins vagues), ce qui crée un sentiment de solidarité (le fameux adage « qui se ressemble s’assemble » rend assez bien cette impression ; mais l’on y devrait y rajouter : « s’assemble et se soude », pour être plus précis dans notre analyse). La solidarité estudiantine, voilà bien quelque chose de merveilleux, n’est-ce pas ? Ou faut-il entendre exclusion par formation ? Ou faut-il entendre repli et velléités d’ostracisme intellectuel d’autrui ? Deux entendements parfaitement extrêmes et inexacts ; mais s’il fallait choisir, brisons le dilemme et du même coup le suspense en choisissant la seconde interprétation – que nous expliquerons en détail plus tard.

   La seconde idée méliorative que l’on pourrait facilement rattacher à ce terme de « promotion » est sans aucun doute celle du progrès, intellectuel évidemment dans ce cas. Tournons-nous sans plus attendre sur une vérité éclairante : l’étymologie du mot « promotion », sur laquelle nous allons revenir au cours de cette présente analyse. Ainsi, le verbe « promoveo, es, ere, movi, motum » signale tout d’abord une idée de « mouvement » pour un but forcément bénéfique ici. Ce mouvement est celui de l’esprit qui, en se développant dans la classe, continue d’avancer sur le grand chemin menant à la connaissance intégrale – chemin sans fin, semblable à l’horizon : l’on ne pourra l’atteindre, mais, en essayant d’y parvenir, l’on aura progressé dans une direction. L’on employait ainsi ce terme pour désigner les montées en grade : l’on pourra donc étendre l’aspect militaire à l’aspect intellectuel, et ce sans aucun scrupule. Un autre sens du verbe « promovere » est « étendre, agrandir » : là encore, il n’y aura pas besoin d’être un honnête homme pour y adjoindre l’idée d’une connaissance étendue. En somme, le terme « promotion » véhicule deux idées : celle de solidarité, et celle de progrès (sur le plan intellectuel ou de la connaissance). Pourquoi alors le diaboliser ainsi ? Il est temps, cher lecteur, de prendre votre naïveté entre vos mains et de lui tordre le cou.

 

   Le terme « promotion » renvoie tout d’abord à une conception parfaitement industrielle de l’éducation. Imaginons l’un de ces tapis roulants que l’on trouve dans les usines, et particulièrement celles employant le travail à la chaîne (autrement dit, laissons de côté les établissements industriels courageusement marginaux). L’image est simple à concevoir : les directeurs de classe sont les contremaîtres, les professeurs, les ouvriers à la chaîne, et les élèves, les produits manufacturés. Alors bien sûr, répliquera-t-on, il faut une, deux trois ou cinq années (voire plus) pour fabriquer un élève (un « diplômé », autrement dit, un produit manufacturé ayant obtenu la validation de sa qualité par un contrôle technique que l’on nomme : « examen » ou « concours »), alors qu’il ne faut que douze heures (je dis ce nombre au hasard, n’étant à mon grand regret point versé dans le savoir des usines d’automobiles) pour construire une voiture. Peu importe le délai : seul compte le moyen et la fin ici (cela est déjà un vaste projet). Le moyen est un apprentissage méthodique, qui a fait ses preuves, que l’on répète à deux ou trois exceptions près par rapport à l’année dernière (ces exceptions ont pour nom : « réformes »), mais la quintessence du procédé employé reste entière : division des tâches, travail à la chaîne et rendement nécessaire (voyez l’anxiété du proviseur à l’annonce des résultats du baccalauréat, de même que celle du directeur d’usine quand il s’agit de faire les comptes ou d’examiner la productivité de l’usine au mois précédent par rapport à la concurrence) en sont les mots directeurs. Pour la fin : il s’agit d’arriver au résultat excellent (100% de réussite pour l’un, meilleurs taux et bénéfices pour l’autre), et cela s’arrête là. En effet, peu importe ce que le proviseur prétendra : ce que ses élèves deviendront dans le futur, il n’en a cure ; ou, s’il y affiche un quelconque intérêt, c’est, soit parce qu’il a pu avoir quelques relations amicales avec un élève (ce qui devrait concerner, au grand maximum, 1% du lycée), soit parce que ledit élève (dont il ignorait ou avait sûrement oublié l’existence) a réussi, et qu’une part du prestige qu’il a acquis dans ses études retombe forcément dans les mains heureuses du proviseur du lycée d’origine du prodige. Mais encore : en dépassant le simple cadre industriel, l’on voit que « promovere » était particulièrement usité pour désigner les « machinationes » et autres tours de siège. L’on sera tout heureux de dresser un parallèle avec la signification que prend aujourd’hui « machine » avec le caractère industriel transmis par le terme « promotion » : et l’on aura sans doute raison. L’on pourra également relier cette idée ainsi dégagée à celles des « collections » (terme qui résonne, à notre plus grande joie encore, avec celui de « promotion ») que nous offrent habituellement les mondes de la « mode ». « Collection printemps-hiver 2010 » rime ainsi avec « Promotion 2010 » : les moyens prétendument traités comme des fins (la beauté ou la réussite scolaire et intellectuelle) ne deviennent alors que des termes-écran cachant la seule fin : la gloire (financière dans un cas, ou purement orgueilleuse de l’autre). Avant d’aller plus loin, entendons-nous bien : nous parlons ici de l’éducation telle que le terme « promotion » semble la définir, et non pas d’elle-même en général.

   L’idée industrielle est donc la première suscitée par le terme « promotion » (l’on notera l’écart à juste titre dressé entre le monde des usines et celui des classes, écart si infini que l’on ne pourra pas le définir suffisamment ici sans dépasser la centaine de pages, en résumant). Mais revenons plus en avant sur l’idée de solidarité naïvement présentée dans la première partie de cette analyse. Pourquoi y aurait-il solidarité ? Est-ce réellement parce que les élèves d’une même classe seraient tous devenus subitement, magiquement, du fait de leur fréquentation, les « meilleurs amis du monde » ? La réponse vous est déjà connue, mais expliquons-en les causes. En effet, si solidarité se crée, elle se forme en rejet et non spontanément : cela veut dire que les élèves sont solidaires non pas grâce aux élèves de la même classe, mais à cause des élèves des autres classes. C’est par cette justification négative que la solidarité se dresse : sitôt la classe terminée, le groupe de solidarité se désagrège (sauf à deux ou trois exceptions près que l’on appelle : « amis »). Cette solidarité n’est en résumé qu’une solidarité de façade, un accord provisoire, mais obligatoire, d’amitié, la situation l’obligeant (un peu, pour parler Histoire, comme lors de la Seconde Guerre mondiale, où Occidentaux et Soviétiques se sont retrouvés de facto alliés en raison de leur rejet commun du nazisme ; sitôt ce dernier annihilé, la solidarité de façade disparaît (vient alors ce que l’on nomme : « Guerre Froide »)). Accident de l’Histoire ou de notre histoire personnelle, la solidarité induite de « promotion » est donc fausse ; mais elle est encore tristement révélatrice.

   Car en effet, si une alliance entre les élèves d’une même classe est rendue nécessaire, c’est que nous vivons réellement dans une société de compétition, de concurrence. Unis dans la diversité, malgré les évidents déboires que cela cause, les élèves d’une même classe deviennent cependant plus forts en devenant plus nombreux, le nombre faisant sans doute la force dans le milieu estudiantin. Le terme « promotion » révèle, affirme et confirme ainsi dans quel désarroi sont plongés les mêmes étudiants : il faut alors s’unir, la pression extérieure (et même intérieure) étant trop forte. C’est donc un malaise qui est transmis et renforcé par l’usage généralisé du terme « promotion » : malaise d’une génération mise en concurrence et qui, pour assouvir son désir d’affirmation (qui découle de cette société de concurrence), proclame son appartenance à un groupe (la force découlant, répétons-le, du nombre ou de la popularité : les deux termes sont identiques dans ce cas précis). Il est donc triste de voir écrire tant de fois le mot « promotion » : l’on y sent le malaise évoqué, l’on sent aussi qu’il s’y renforce, en somme qu’on en finira jamais (et pourtant : est-ce un mal ? que mettre à la place ? Une société sans concurrence se nomme : « communisme » et est un bien plus grand mal).

   Le terme « promotion » est ainsi un cercle vicieux, un système qui s’autoalimente : la production industrielle sert la concurrence générale accroissant le malaise et par conséquent le désir d’affirmation d’une société. De plus en plus jeunes, les élèves y sont confrontés : c’est ainsi que l’on nomme « promotion » les années de baccalauréat du lycée, là où ce terme n’était alors qu’employé pour les universités (cadre plus restreint et censément plus mature s’il en est). Employer le terme de « promotion » est ainsi faire l’éloge de tout cela à la fois. L’on insistera pour finir sur la notion de concurrence générale, que l’on retrouvera à de multiples fois dans la thèse complète.

 

   La vraie question qui reste alors à résoudre est la suivante : « Que doit-on dire à la place ? ». Répondons : « rien de spécial » ; restons le plus neutres possibles sur ce sujet. Autrement dit, je ne suis pas au Lycée Camus, Promotion 2010 ; mais je suis au Lycée Camus, et j’aurai, je l’espère, mon baccalauréat en 2010. In medio stat virtus.

 

Le 23/12/2010

 
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